L'Encyclopédie critique du genre

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Ascagne
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L'Encyclopédie critique du genre

Message par Ascagne » il y a 7 ans

Une parution sur laquelle je vais me jeter, chroniquée dans Le Monde :
« L’Encyclopédie critique du genre », synthèse incontournable
En croisant la biologie, l’histoire ou encore la sociologie, l’ouvrage dirigé par Juliette Rennes explore les rapports de pouvoir que masque l’essentialisation des individus.
LE MONDE DES LIVRES | 21.12.2016 à 15h27 • Mis à jour le 21.12.2016 à 20h27 | Par Jean-Louis Jeannelle (Spécialiste des études


Encyclopédie critique du genre. Corps, sexualité, rapports sociaux, sous la direction de Juliette Rennes, La Découverte, 740 p., 29,50 €.

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Estelle FENECH


En raison d’un taux jugé excessif d’hormones androgènes, on exigea de la sprinteuse indienne Dutee Chand qu’elle subisse une hormonothérapie. Ce que celle-ci refusa, arguant devant le tribunal arbitral du sport (TAS) qu’elle n’avait pas triché et que les avantages qui lui étaient reprochés étaient une production naturelle de son corps. De fait, rien n’éclaire mieux l’absurdité d’une « identité féminine » (ou masculine) fixe que les fameux tests imposés aux athlètes, sobrement nommés « contrôles de genre » depuis les années 1990. Que contrôle-t-on exactement ? Initialement des organes, puis des chromosomes et plus récemment des hormones, sans que ces tests permettent en réalité de déterminer de façon univoque et définitive le sexe des individus.
Un grand impensé

En effet, comme l’écrivent Anaïs Bohuon et Grégory Quin dans l’article « sport » de l’Encyclopédie critique du genre, « ce ne sont pas des fraudeurs ou des fraudeuses qui sont dépisté.e.s mais bien des athlètes intersexes », et toute l’absurdité consiste à vouloir corriger au nom de prétendus critères « naturels » des variations biologiques qui sont… précisément naturelles. Parmi toutes les caractéristiques physiques servant à classer les joueurs, la bicaté­gorisation par sexe fonctionne comme un grand impensé. Certes, les femmes sont invitées à pratiquer le sport, mais entre elles, à côté. Ce que cache l’égalitarisme affiché du monde sportif, c’est un refus de toute véritable mixité, manière d’entériner le diktat naturaliste de la différence des sexes.

Dirigée par Juliette Rennes, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, cette encyclopédie offre, en une soixantaine de notices, une ambitieuse synthèse des recherches menées en France et dans le monde autour de la notion de genre. Il y a là un outil incontournable, pour deux raisons : l’une tient à la multiplicité des savoirs réunis, l’autre à l’originalité des questions traitées.

Rapports de pouvoir

La notion de genre s’est imposée de manière très progressive à partir des années 1970, aux Etats-Unis d’abord. Son caractère opératoire en a fait le point de convergence des travaux qui ont pour objet les corps sexués dans leurs interactions sociales. Ainsi juge-t-on que les « caractères sexuels secondaires », comme la voix ou la taille, sont « donnés », autrement dit fixés par la nature et de ce fait immuables. C’est oublier que la socialisation conduit les filles et les garçons à moduler à leur insu la hauteur ou le timbre de leur voix afin de se conformer aux attentes sociales. Et que les gènes, s’ils ne peuvent pas être « fabriqués » par les pratiques sociales, sont néanmoins « sélectionnés » par elles, ce qui explique que les inégalités d’accès aux ressources alimentaires aient pu accentuer les variations de taille (que redoublent les appariements en fonction des normes staturales).

De même n’interroge-t-on pas la distinction entre hétéro et homo, qui ne date pourtant que de la fin du XIXe siècle et ne rend aujourd’hui plus vraiment compte des modes de vie réels… Il y a là autant de questions qui ne peuvent qu’inquiéter ou indigner ceux pour qui il existe un ordre « naturel » (ou « symbolique »). Car le véritable enjeu de ces recherches croisant la biologie, l’histoire, la sociologie et quantité d’autres disciplines, ce sont bien les rapports de pouvoir que masque la naturalisation des marqueurs de genre.

Détourner les contraintes imposées

Le second intérêt tient à l’extraordinaire variété des champs abordés. Ainsi de l’entrée « handicap », qui interroge ce que l’on juge « normal » ou « valide » dans une société donnée. Mais aussi du « corps maternel », partagé entre les technologies médicales qui accompagnent une grossesse et l’angoisse suscitée par la dénaturalisation de l’acte procréatif. Ou encore de la « religion », que les féministes n’envisagent plus comme une sorte d’opium, préférant s’intéresser aux manières dont les femmes détournent les contraintes imposées et se « bricolent » une place.

On ne saurait exiger de chacun qu’il soit spécialiste de tous les savoirs ici convoqués. Du moins ceux qui prennent publiquement position (telle Valérie Pécresse, qui vient de couper les subventions pour les études sur le genre en Ile-de-France, région qu’elle préside) auraient-ils tout intérêt à savoir ce dont il est question. Peut-être manquions-nous jusqu’à présent en France d’un ouvrage de référence, mais ce n’est désormais plus le cas. Parler de « la » théorie du genre, comme le font les tenants de La Manif pour tous, n’aura donc plus qu’une seule excuse : l’analphabétisme. Bien entendu, il restera toujours la mauvaise foi…

Extrait de « L’Encyclopédie critique du genre »

« Alors que les militant.e.s de la sortie du “placard” avaient eu tendance à penser la distinction dedans/dehors comme un absolu, Eve K. Sedgwick (dans Epistémologie du placard) a montré au contraire que le placard est un lieu instable qui, loin de simplement protéger ceux et celles qui s’y trouvent, offre un privilège épistémologique capital aux hétérosexuel.le.s. Plutôt qu’un espace hermétiquement fermé, elle le décrit comme un “placard de verre” dont on ne sait jamais, quand on est dedans, qui sait qu’on s’y trouve et qui l’ignore. En outre, plutôt que d’envisager la sortie du placard comme une rupture radicale, elle insiste sur le fait que les gays et lesbiennes ont à en ressortir régulièrement, à chaque fois qu’ils et elles rencontrent une nouvelle personne par exemple, et que chacune de ces sorties est intempestive : on en sort toujours trop tôt ou trop tard. »

« Placard », dans l’Encyclopédie critique du genre, pages 455-456

Jean-Louis Jeannelle (Spécialiste des études littéraires et collaborateur du "Monde des livres")
Mon beau-frère Silvius tient le Biplan, un blog sur la bisexualité (actualités, militantisme, réflexions de fond). Passez donc voir, si le coeur vous en dit :
https://lebiplan.wordpress.com/

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Desmodromique
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Re: L'Encyclopédie critique du genre

Message par Desmodromique » il y a 7 ans

Merci, ça a l'air intéressant !
No, I'm bisexual, you're confused.

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