Un gay chrétien argumente pour l'ouverture du mariage
Posté : 13 sep 2012 19:17
L'article sur Témoignage chrétien.Église et homosexualité : la tentation théocratique
Par Nicolas Johan LePort Letexier
Témoignage chrétien, 11 septembre 2012
TRIBUNE - Les voix chrétiennes qui se font entendre sur le projet de mariage entre personnes de même sexe semblent résolument hostiles à cette évolution du droit de la famille. Mais la diversité des opinions existe aussi parmi les chrétiens. Sans compter ceux qui se taisent. Par gêne, par peur ou par habitude. A ceux-là, Nicolas Johan LePort Letexier, militant de la lutte contre le sida, lance un appel.
Chrétien et homosexuel, j’en rends grâce chaque jour ! Disciple de Jésus, activiste social, politique et artistique, j’ai le bonheur de pouvoir suivre mon cœur et mon corps en aimant un autre homme sous le regard de Dieu.
Pour de nombreux amis gays, je concilie ce que trop de haines et de méconnaissances ont rendu irréconciliables. Pour de nombreux amis chrétiens, c’est tout simplement un sujet qu’ils ne souhaitent pas aborder. Le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe sont à présent inscrits dans le calendrier des réformes politiques en France et aux outrances de certaines hiérarchies ecclésiales vont faire écho la haine et l’intolérance actives de certains chrétiens.
Ce texte s’adresse à mes frères et sœurs en Christ, à ceux qui comptaient faire semblant de rien en attendant que ça passe, aux pratiquants du double discours (silence en public/ tolérance en privé), à ceux qui condamnent la violence des « autres » mais partagent tout de même leur avis sur la question, à ceux, enfin, qui formeront cette majorité silencieuse coincée entre la voix de ses pasteurs et leur ignorance sur ce sujet ou bien leur peur de faire entendre une opposition sincère.
« avez-vous vraiment partagé un regard d’amour sur ceux à qui on assigne leur sexualité comme une identité sujette à débat ? »
Depuis de nombreuses années, je me suis rangé aux côtés des militants sans Dieu ni maître mais passionnés de justice, des défenseurs de la terre qui nous a été donnée en partage, des femmes et des hommes qui, sans le don de la foi, se débattent et se battent avec et pour eux-mêmes, avec et pour ce monde.
Les Églises outrepassent leur vocation et trahissent leur mission, d’abord en condamnant, puis en militant activement dans les réseaux politiques ou sociaux pour priver des individus du droit fondamental à vivre selon leur cœur et leur conscience. Cette tentation théocratique est une ligne rouge pour ma foi. Si nous n’offrons pas une visibilité à notre refus de cette prise de pouvoir du religieux dans l’espace politique nous laissons le champ libre aux intégristes, à tous les intégrismes.
Homosexuels, Homosexualité. Que ce soit votre fils, votre fille, l’un de vos neveux, l’une de vos amies ou collègues, avez-vous vraiment partagé, ne serait-ce qu’une seule fois, un regard d’amour, de respect et de confiance sur la vie, les aspirations, la réalité de l’un ou l’une de ceux à qui on assigne leur sexualité comme une identité sujette à débat ?
La Gay Pride n’est pas plus l’homosexualité que les férias de Bayonne ou le carnaval de Dunkerque ne sont l’hétérosexualité. Être pour ou contre l’homosexualité, être pour ou contre les droits des homosexuels. Les discours entendus sur la question rappellent péniblement les arguments contre l’émancipation des femmes, contre les droits civiques des Noirs. Certaines Églises chrétiennes y jouent le même jeu honteux. Comme si on pouvait être pour ou contre une pigmentation de peau, pour ou contre le fait d’être une femme.
Il y a toujours eu des homos, ils ont toujours été parents que ce soit par obligation sociale et religieuse ou par désir sincère de paternité ou de maternité. Des rapports sexuels et/ou affectifs entre individus de même sexe consentants ne troublent en rien la société, l’organisation civile de ces unions ne privent personne de droits, la possibilité pour ces couples d’assurer la responsabilité et l’éducation d’enfants orphelins ou d’offrir à leurs propres enfants la protection d’une pleine autorité parentale conjointe n’est que justice vis-à-vis des droits d’un enfant à être protégé, soutenu et éduqué par des adultes dans un cadre stable et pérenne. C’est même un bien pour toute société ayant pour but sa prolongation par les générations.
« Le nom du Christ ne devrait servir qu’à bénir et célébrer l’Amour dont la diversité rend hommage au Créateur »
Ces arguments sont de raison mais combien d’entre vous peuvent en expérimenter la pertinence par le cœur ? Je vous souhaite de partager un peu du quotidien de ces familles qui ne sont nouvelles que parce que récemment sorties de l’hypocrisie. L’adoption par des célibataires est légale dans ce pays et elle n’a jamais été remise en cause par les Églises. Un célibataire vaut donc mieux que deux hommes ou deux femmes ?
Pourquoi donc subitement cette « obligation anthropologique » d’un père et d’une mère pour l’adoption si ce n’est pour masquer notre peur de la fin d’une injustice et d’une discrimination sociale qui se fait sans nous, qui se fait malgré nous. Le nom du Christ ne devrait servir qu’à bénir et célébrer l’Amour dont la diversité rend hommage au Créateur.
Notre unité ne peut se faire sur une tolérance gênée et silencieuse vis-à-vis de l’intransigeance bruyante et envahissante des plus radicaux d’entre nous. Lorsqu’à l’erreur spirituelle de nombreux croyants s’est jointe la lâcheté politique de tous, nos Églises ont commis des crimes qui nous font encore honte aujourd’hui.
J’ai appelé il y a quelques mois les homosexuels de différentes spiritualités à sortir du silence, en rappelant à la communauté gay qu’elle a une longue et riche histoire spirituelle et que cette histoire a aussi nourri ses combats pour sortir du rejet et de la honte. La foi a toujours nourri mon combat pour la justice sociale et le respect des personnes et je sais qu’elle inspire aussi de nombreux gays et lesbiennes dans leurs engagements.
La connaissance du patrimoine d’expérimentations spirituelles ou de spiritualités inclusives, festives et militantes accumulés par les queers (1) en général depuis le début du XXe siècle est certainement l’une des voies qui permettraient de sortir des impasses où nous nous enfonçons concernant entre autre la prévention du Sida, les phénomènes d’addictions ou les solidarités intergénérationnelles. Mais si nous brisons les lois du silence et de la méfiance, avec qui pourrons-nous entamer un dialogue en vérité ?
« souhaitez-vous une théocratie ? »
Aujourd’hui que des chrétiens militent ouvertement pour l’instauration de la « royauté terrestre » du Christ et se font le bras armé d’Églises qui demandent publiquement que LEUR loi de Dieu soit la loi des hommes, je vous interroge sincèrement : souhaitez-vous une théocratie ? Car, reconnaissons-le, la limite, la ligne de partage est là.
Demander à la société de s’organiser selon des modèles exclusifs basés sur les interprétations actuelles (quand l’histoire nous apprendra-t-elle l’humilité dans la foi ?) des Écritures et de la tradition, c’est militer pour l’instauration d’une théocratie. C’est d’autant plus facile que cela concerne aujourd’hui un groupe rendu quasi invisible dans nos communautés chrétiennes. Mais s’il fallait réclamer l’interdiction du divorce ou de la contraception nous ne serions sans doute pas si prompts à la retenue.
La dissociation du civil et du religieux nous semble une évidente nécessité, mais où se situe alors la frontière ? Bien au-delà du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe, l’enjeu pour les chrétiens est de faire enfin le deuil d’un christianisme tout puissant (combien d’occasions nous faudra-t-il ?), pour nos pasteurs de faire le deuil du pouvoir politique comme une extension de leur autorité spirituelle.
Aujourd’hui, garderez-vous le silence ?
Après ces lignes, comme un frère dans le baptême et au nom de tant et tant de gays et de lesbiennes qui sont aussi pour certains vos frères et sœurs dans la foi autant qu’en humanité, je pose à chacun de vous ces questions qui me brûlent.
Vous ne vous êtes pas levés quand nos pasteurs nous ont demandé de renoncer à l’amour et obligé par la foi à la continence, vous avez gardé le silence quand ils nous ont privés des sacrements parce que nous refusions de cacher ou de confesser l’homme ou la femme avec qui quotidiennement nous portons du fruit pour nous-mêmes et le monde dans un amour partagé.
Vous ne vous êtes pas levés quand nos Églises se sont opposées et s’opposent encore actuellement à la dépénalisation nous condamnant à être des criminel(le)s dans plus de soixante-dix pays à travers le monde, quand elles ont soutenu les théories les plus ignobles mêlant homosexualité et maladie mentale ou pédophilie, justice divine et sida.
Aujourd’hui, garderez-vous le silence alors qu’au nom de la foi, au nom du Christ, d’autres chrétiens et nombre de nos pasteurs se lèvent contre la reconnaissance de notre droit civique à protéger nos conjoints, à protéger nos enfants par le mariage et l’adoption ? Chrétiens, quel est le monde que vous bâtissez par votre silence, quel témoignage rendez-vous de notre Foi ?
(1) Le terme queer (« bizarre », « mal fichu » en anglais) est utilisé pour qualifier les personnes non-exclusivement hétérosexuelles, transgenres ou qui contestent l’hétérosexisme, ndlr.
Nicolas Johan LePort Letexier est militant de la lutte contre le sida. Il collabore au site http://www.minorites.org
J'ai beaucoup apprécié cet article, très digne et très bien argumenté. Comme quoi il n'y a qu'un chrétien pour bien river le clou aux chrétiens extrémistes...