Témoignage rédigé par Léna, membre de notre forum. Source : Je suis bi-furieuse

Je fais partie des gens qui pensent que les étiquettes ont une capacité libératrice bien plus forte que leur capacité excluante. Que le problème n’est pas d’être toute-s différente-s, mais qu’il y ait des privilèges, et donc des oppressions, associées à ces différences.

S’appliquer une étiquette dont on ignorait l’existence en tant que mot mais qu’on connaissait dans notre vécu, ce n’est pas se limiter : c’est se libérer de cette angoisse d’être inconcevable, à soi et aux autres. Ce n’est pas se couper des autres, c’est se connecter à d’autres vécus qui nous ressemblent.

Ca a été le cas, pour moi, de l’étiquette "bisexuelle". Ah, c’est comme ça que ça s’appelle, d’être attirée par des personnes de tous genres ? Et je ne suis pas seule ? Et cela a des points communs avec les vécus homosexuels et lesbiens, mais a aussi des aspects uniques.

Et puis, on m’a dit que "bisexuelle", c’était un mot qui excluait les femmes trans, les hommes trans, et les personnes genderqueer et intersexes. Que bi = deux, et que c’était binaire, alors que c’était mieux, plus inclusif, de se définir "pansexuelle". J’ai accepté cette nouvelle étiquette, car elle me va bien, mais ma jolie étiquette "bi", je l’aimais bien, alors j’ai collé "pan" par-dessus parce que je ne voulais pas être transphobe jusque dans la manière de me nommer, mais quand même, je ne voyais pas pourquoi je devais m’en défaire, elle qui m’avait amené une communauté[1].

J’ai voulu rentrer dans la communauté LGBT. J’ai vu des affiches qui disaient qu’on ne pouvait pas donner son sang si on avait l’une de ses lettres, alors qu’avec ma meilleure amie lesbienne, on est donneuses régulières. J’ai vu des forums de "femmes qui aiment les femmes" envoyer des MP à l’administratrice parce que une bi bon ok, mais seulement si elle est célibataire ou en couple avec une femme. J’ai vu le féminisme radical m’expliquer que les vraies féministes sont lesbiennes, et que bon les hétéras elles ont pas le choix mais les bies si et que donc elles si elles restent avec des hommes c’est que c’est bien des traîtresses. J’ai vu les militants queers dire des choses que je trouvais brillantes et percutantes, et se réclamer d’être "transpédégouines"[2]. J’ai vu des personnes attirées par des hommes, des femmes et des genderqueer avec une préférence se définir comme "homo-flexible", "majoritairement hétéros", mais jamais comme "bis avec une préférence". J’ai vu des gens avoir des relations avec des hommes, femmes et genderqueer se réclamer "pédé" ou "gouine" et dire que c’était très radical, tandis que les personnes qui se réclament de "bi" sont par nature à moitié dans la communauté, à moitié en-dehors[3]. Pas des vrais. J’ai très, très peu entendu "bi" pendant les marches des fiertés, par contre j’ai beaucoup entendu "mariage gay" pendant le débat sur le mariage pour tous. J’ai entendu beaucoup de personnes m’expliquer très sereinement qu’une partie de moi était inférieure et que l’autre partie était la bonne. Que suivant de qui je tomberai amoureuse, on verra ma stérilité comme une malédiction que la science peut corriger, ou comme une fatalité dont je ne dois surtout pas chercher à passer outre. J’ai vu des milliers de personnage hétérosexuels, partout, et quand enfin j’en ai vu des bisexuels, on m’a dit que je me faisais des illusions, corrompait une oeuvre, que les personnages étaient trop normaux pour être bis[4], ou alors on leur mettait une autre étiquette, "omnisexuel", parce que tu comprends ils sont trop forts, trop flamboyants, et en plus ils sont les héros de leur propre histoire, alors on ne va pas quand même pas leur donner ton étiquette à toi[5]. J’ai vu encore d’autres étiquettes, "poly" pour plus d’un genre, "huma" pour tous les genres.

Et puis, un jour, j’ai vu que les personnes bies, loin de bénéficier d’un "privilège hétéro", étaient en fait moins bien loties que les personnes homosexuelles. Plus de dépressions, de tentatives de suicide. Plus de victimes de viol. Moins de modèles, moins de communautés pour les accueillir. Beaucoup plus d’isolement, auquel la multiplication des étiquettes n’est pas étrangère. Énormément de personnes qui croient que "ça n’existe pas", y compris des psys, qui passeront donc du temps à chercher à déterminer quelle est la "vraie" orientation de leurs patiente-s plutôt que de les aider. J’ai vu que la fondatrice de la "Lesbian & Gay Pride" était une femme bisexuelle. Que Freddie Mercury n’était pas gay. Que c’était quand même un peu bizarre de définir la bisexualité comme "hommes + femmes", quand les personnes bies n’utilisent pas cette définition, pour ensuite expliquer que "bisexualité" ce n’est pas bon. Que c’était étrange que "hommes + femmes" c’était pas inclusif mais "femmes qui aiment les femmes" si. Que pendant que le mouvement LGBT est dominé par les gays blancs cis CSP+ et qu’il y a énormément de lesbiennes qui continuent à considérer les femmes trans comme des espionnes du patriarcat, que la mesure la plus urgente pour lutter contre la transphobie dans le mouvement LGBT soit de supprimer l’identité bi.

Et là, j’ai arrêté de me comporter en invitée que l’on tolère et qui doit être reconnaissante. Je suis bi, je suis LGBT, et je ne m’excuserai pas. Cette étiquette que vous avez voulu m’enlever, je me la porte en étendard. Je suis intimement pansexuelle, parce que je me reconnais dans "quels que soient leurs genres", mais je sais qu’il y a d’autres personnes qui ont des genres préférés, plus ou moins marqués, qui ne rentrent pas dans cette étiquette, et que le terme "bi" est un joli parapluie. Mais je suis une bisexuelle politique.

Je refuse la silenciation, l’assimiliation, l’invisibilisation. Je refuse l’hétérocentrisme, le patriarcat, le monosexisme, la misogynie et la biphobie. Je refuse de jouer à la "bonne bisexuelle qui jette sous le bus le reste de sa communauté pour une place au soleil, les bi-curieuses des bars, les hommes mariés des backrooms, les polyamoureux, les confus, les infidèles et celles et ceux qui aiment la promiscuité. Quand je me tairai, ça sera pour laisser parler les personnes racisées, trans, non-binaires, séropositives, handicapées, étrangères, travailleuses du sexe, prolétaires, et tous les axes que j’oublie. Je suis bi-furieuse et fière de l’être.

[1] La communauté bi en France, c’est une asso et un forum.
[2] Si vous ne voyez pas le soucis, demandez-vous quelle lettre saute quand on passe de LGBT à TPG.
[3] Le problème N’EST PAS comment ces personnes souhaitent s’identifier. Le problème est qu’un "comportement bi" avec une "étiquette homo" est vu comme radical et subversif pendant qu’un "comportement homo ou hétéro" avec une "étiquette bi" comme rétrograde.
[4] Bonjour, Dean Winchester.
[5] Bonjour, Captain Jack Harkness.